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Exposition
Marc GASSIER
ADMIN'ART
Installation
Du 19 octobre au 17 novembre 2007
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BIOGRAPHIE
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Autoportrait de l’artiste en fourmi


Dans L’Age d’Or, le film de Salvador Dali et Louis Bunuel, l’image d’une main zébrée de fourmis grouillant dans tous les sens, exorcise en l’épinglant la peur que le peintre catalan éprouvait à l’égard de ces insectes.
Marc Gassier, faisant œuvre de sculpteur entomologiste, épingle à son tour les fourmis de l’espèce camponotus vagus, grosse fourmi charpentière très répandue en milieu méridional.
Si la vision dalinienne associe ouvertement les fourmis à une expérience anxiogène, Marc Gassier souligne avec subtilité la complexité de nos affects partagés entre curiosité, admiration, répulsion que leur observation nous inspire.
Apparues sur terre il y a pu de 100 millions d’années, les fourmis feront preuve d’une organisation sociale endémique et d’une capacité d’évolution qui ont suscité chez l’homme l’envie de pénétrer les mécanismes de leurs règles sociales et d’y voir le miroir de sa propre socialisation. Mais parler d’un individu fourmi au singulier· est un non-sens, tellement la vie de chaque insecte est soudée au destin de sa fourmilière. Par conséquent, quoi de plus paradoxal pour le visiteur de l’exposition que de se trouver face à une fourmi isolée qui l’interpelle du haut de son deux mètres et demi, quand les plus gros spécimens n’excèdent pas quatorze millimètres…
En tant qu’autoportrait allégorique de l’artiste, la grande fourmi incarnerait-elle la double métaphore du travail artistique et de la technicité artisanale, le vieux parangon entre ars et techné, jusqu’à re-poser la problématique du statut de l’artiste et emprunter à la société de ces hyménoptères le modèle de symbiose organisée selon un polyéthisme de castes qui équivaut à notre division du travail ?
D’emblée, le titre de l’exposition annonce les préoccupations éthiques de l’artiste.
Nommer Admin’art l’installation qui met en situation des fourmis en tant qu’artefact, oriente la compréhension de ce geste artistique vers des notions que le mot admission et le verbe admettre recouvrent. Admettre sa condition d’artiste, se faire reconnaître par ses pairs et apprécier d’un public d’amateurs, tel semble être le message que la fourmi de Marc Gassier a pour mission de nous transmettre. Insectes sociaux dotés d’une faculté communicationnelle polymorphe basée sur le transfert de phéromones, les fourmis qui envahissent les murs de l’exposition sont plutôt spécialisées … dans la presse écrite.
L’artiste les a filmées dans la lumière contrastante de la chaleur méditerranéenne, transportant des bribes de textes où défile notre actualité, celle qui constituera les archives d’une mémoire au quotidien au fond de la fourmilière, comme dans nos fichiers informatiques. Transporter du texte comme signe de lien social là où, plus on parle de communication moins il est question de l’être-là alors que, pour les fourmis ,· la circulation de phéromones demande une réciprocité de présence, un échange de signatures chimiques en temps réel, la possibilité d’un contact sensible. Et pour filer la métaphore tout en extrapolant, on pourrait considérer l’œuvre d’art comme la phéromone d’une communication inédite, atypique et puissante, prête à surprendre et à bouleverser nos affects et d’attirer notre vision du monde vers de nouveaux horizons.

Le sentiment de répulsion que la main parcourue de fourmis inspire chez le spectateur dés les premières images de L’Age d’Or n’est pas une zoopsie due à une quelconque modification· de l’aspect de l’insecte. Au contraire, le caractère familier de sa petite taille est la source de l’inconfort ressenti.
Le parti pris de Marc Gassier est autre. En intervenant sur la taille des fourmis, il inverse l’ordre naturel des proportions. Soudain, le minuscule devient gigantesque, stupéfiant voire menaçant par sa grandeur démesurée, réminiscence d’un temps archaïque où les insectes furent réellement géants. De plus, un autre type de hiatus entre l’homme et l’insecte intervient : la fourmi, créature exosquelette est protégée par une cuticule rigide tandis que la masse osseuse du corps humain est enfouie sous l’enveloppe morbide de la chair.
Marc Gassier maîtrisant grâce à sa formation de sculpteur les changements d’échelle vertigineux, les exerce au monde du vivant, du crâne aux insectes. Rejoignant en cela d’autres artistes contemporains tels que Louise Bourgeois et Jan Fabre, il reste cohérant avec sa trajectoire personnelle qui l’amène à concevoir la sculpture monumentale Bird· à partir d’une bague, ou inversement, une série de bagues crânes d’animaux articulés ou bien de bagues vanités ornées d’une multitude de crânes et de squelettes humains, non pas en guise d’un memento mori· autour du doigt mais comme symbole d’un perpétuel retour, à porter sur soi.
Fourmis, moustiques, devenant de plus en plus grands dans le projet artistique de Marc Gassier lancent un défi à notre entendement en proposant un monde à l’envers où les choses sont perçues à travers le prisme d’une perspective inversée.
En tant que symbole de l’infiniment petit la fourmi alimente aussi bien l’imaginaire collectif que poétique.
« Une fourmi de dix-huit mètres, ça n’existe pas ça n’existe pas » écrivait Robert Desnos en prenant soin néanmoins de terminer sa poésie drolatique sur un « eh bien pourquoi pas » léger et malicieux. Dans un registre tout autre et selon un esprit moralisant, Erasme se réfère à l’adage formica camelus· connu depuis l’Antiquité, pour désigner l’inégalité des conditions humaines. De même, Francesco Colonna dans Le songe de Poliphile (recueil d’emblèmes très rependu dans les cercles intellectuels et artistiques du milieu du XVe siècle) crée un rébus qui associe deux fourmis transformées en éléphants qui entourent un caducée flanqué de deux vases, pour illustrer la sentence : « par la paix (caducée) et par la discorde (l’eau et le feu) les petites choses grandissent et les grandes vont à rien ».
Si Marc Gassier privilégie les insectes, ce n’est pas il me semble dans le dessein de manipuler en apprenti sorcier leur taille, ou de recréer leur admirable perfection formelle, ou encore de remuer le fond de nos peurs obsédantes. Sans ignorer tout cela, il parvient à canaliser notre sensibilité· vers une composante fondamentale de toute démarche artistique, la notion de mise en rapport.
« Oublions les choses, ne considérons que les rapports » aimait à dire Georges Braque.
Il se peut que la grande fourmi, hôte et sentinelle de l’installation, incorpore cette vision d’artiste.


Malvina Bompart