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Exposition

Trait pour trait

Si un trait est d'abord une ligne que l'on trace, ce peut être aussi, dans un autre contexte, tout ce qui frappe et touche le coeur, voire toute arme que l'on lance. Chaque trait des «·Mythologies·» d'Hélène Depotte concourt à révéler toutes ces acceptations du terme.De ses hachures fines et patientes, des zones qu'elle ombre délicatement de son sfumato de feutre, l'artiste rappelle à notre mémoire les images d'un monde que nous avons peuplé de mythes pour lui donner un sens ou lui demander d'en avoir un et pour que, par-là même, nos vies en aient un également.

En ce sens, ces «·Mythologies·» que nous découvrons remplissent bien ces rôles explicatif et cathartique. Mais au-delà, ces dessins régénèrent les mythes qu'ils représentent et s'adressent à nous de façon plus intime qu'universelle. De même, leur facture est souvent très décalée et surprenante dans la recherche du détail bien que toujours empreinte de réalisme traditionnel. D'une part, l'artiste nous lâche la bride interprétative. De l'autre, par sa maîtrise technique, elle nous retient au plus près.Le parti pris de chacun des dessins est d'élire un instant crucial d'un récit mythologique au sens large dont il ne choisit que ce seul moment à illustrer.· Cependant, pour concentrer dans cette élection toute la tension et la force retrouvées de mythes ancestraux souvent affadis par les siècles qu'ils ont traversés, pour nous les donner à reconnaître et à réinvestir de sens, l'artiste les présente à notre regard désabusé d'une façon qui les «·réveille·» en quelque sorte. Elle en change le contexte historique ou esthétique pour nous les faire mesurer à une aune différente de celle de l'imaginaire ancestral.

Sûrement ces dessins repeuplent-ils nos mémoires de Caïn fratricide ou d'Orphée démembré. Mais peut-être est-ce simplement des enfants qui jouent qu'ils veulent nous donner à voir, ou la présence éternelle de la poésie dans le monde? En tout cas, ils savent nous montrer, près du cadavre de Pégase amputé de ses ailes, un enfant· nous désignant du doigt pour nous rappeler à l'essentiel : pendant que nous remplissons le monde de narrations multiples pour en avoir la connaissance, on ne fait souvent, paradoxalement, qu'essayer d'en évacuer la seule que nous· possédons de façon certaine: celle de notre fin. Possible figure d'un nouveau memento mori, chaque dessin d'Hélène Depotte nous le rappelle avec finesse, élégance et lucidité.

Avec tendresse aussi. On dirait que les traits minutieux répétés mille fois sur le papier ont désamorcé la violence de ces récits mythologiques dont la représentation nouvelle nous apaise. En passant cette violence au crible des fins treillages de feutre, au coeur des volumes et des formes dessinées, ils· l'ont tamisée et évacuée au final.

Dans la même perspective s'ajoutent des images plus intimes dont le propos apparaît simple d'abord et classique encore mais qui nous troublent par leur allure d'icônes quasi-photographiques. Telles des photos vieillies et dont les bords s'enroulent, elles nous emplissent d'émotion et du sentiment d'être en terrain connu. Cependant, tandis qu'elles nous rappellent aussi l'éphémère de l'existence, elles savent· nous rassurer en nous maintenant à distance par leur allure d'époque révolue.

Hélène Depotte nous touche et nous frappe en déformant les mythes pour leur faire composer sa mythologie propre qui sait si bien suivre les méandres de nos existences intimes. De mythologiques, ces dessins-histoires deviennent nos mythologies et devant les dessins de l'artiste, alors que nous sourions parfois d'avoir réussi à débusquer sans le recours au titre le mythe dont la relecture nous est proposée, on en vient très vite à s'abandonner à l'image seule et à sa poésie. Nous pensons détenir les récits mythologiques, mais ce sont leurs représentations qui nous possèdent et lisent nos parcours finalement toujours très solitaires.

C'est que ces dessins-là sont à l'échelle humaine et parfois au sens propre: à notre taille sur le papier.

Ils sont grands comme nous sommes, ou petits comme nous savons l'être.

Issus d'histoires universelles, ils s'offrent à nous comme les représentations intimes et déportées dans le temps de nos tragédies passées ou actuelles et des peurs que nous craignons d'affronter.

Sur le mur, ils nous font face et nous épaulent à la fois.

Ils font mémoire, ils font miroir.

Ils sont qui nous sommes : trait pour trait.

Armelle Cazin

Avril 2011

Hélène DEPOTTE

"Mythologies"
Dessins

Du 04 juin au 02 juillet 2011
Helene09
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